Théoriquement, Carmen ne DEVRAIT pas fonctionner. Et à l’époque de sa création, de nombreux musiciens compétents et reconnus s’opposèrent avec véhémence à ce qu’il existe. Le problème – comme toujours dans l’histoire musicale française – était son classement dans une catégorie. Il ne pouvait être ‘qu’un’ opéra comique, parce qu’il comportait de la danse et n’était pas supposé présenter un mythe grec ou romain. De l’opéra comique, on s’attendait à ce qu’il traite des sujets légers, sentimentaux ornés de chants et de danses de façon plaisante et peu dérangeante.
Ni le sujet, ni les personnages issus du peuple n’entraient dans cette catégorie. Bizet s’inspira et adapta la nouvelle de Prosper Mérimée, très sombre de par le sujet, et il tira du livret de ses collaborateurs Meilhac et Halévy un mélodrame (un psychodrame dirait-on), de passion humaine intense, qui s’enracinent dans de nombreuses communautés d’hier et d’aujourd’hui.
Ce sont ces liens et points de convergence d’émotion que tout grand artiste et créateur est capable d’isoler et de magnifier. Et, souvent, les plus grands créateurs travaillant sur des formes musicales ou théâtrales trouvent un moyen de transformer un idiome populaire en quelque chose de plus profond. C’est le cas de Georges Bizet et de Carmen. Le compositeur Tchaikovsky avait prédit qu’il deviendrait l’opéra le plus populaire au monde, et même Wagner – le plus intimidant peut-être de tous les compositeurs d’opéras – fut un admirateur enthousiaste de cette œuvre.
A sa Première à Paris en 1875 cependant, Carmen ne remporta pas de succès : ni auprès des critiques, ni auprès du public, horrifiés devant le sujet osé et les personnages ‘dépravés’ ! Certains, plus offusqués que d’autres, demandèrent que la chanteuse jouant le rôle soit traînée devant les tribunaux pour incitation à la débauche.
Quelques mois après la Première, le jeune Bizet, âgé de 36 ans, mourut tragiquement. Afin de rendre l’œuvre plus commerciale, les éditeurs commandèrent au compositeur - plus dans les normes de l’époque – Ernest Guiraud, d’écrire quelques récitatifs (dialogues chantés à la manière des grands opéras) ; elle serait plus ‘acceptable’ pour le public des habitués. Aujourd’hui, les versions jouées dans les opéras du monde entier comportent des partitions jamais écrites par Bizet.
Pour notre production, nous avons laissé de côté la plupart des récitatives écrites par Guiraud afin de ramener l’œuvre le plus près possible de la version et la conception de Bizet – un mélodrame d’intense énergie émotionnelle, où les mots chantés et les mots parlés ont la même importance, de telle façon, que, nous l’espérons, Bizet aurait approuvée.
Andrew Peggie
Traduction Annie Corbier
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